Sacré champion du monde en 2017 à tout juste 20 ans, Lucas Mazur s’est adjugé trois médailles lors des derniers Europe. Ambitieux, exigeant, il ne se laisse pas affaiblir par son handicap. Il suit sa route. Et ses proches lui emboitent le pas.

Rendez-vous 10h30 au CREPS de Bourges. CREPS comme « centre de ressources, d’expertise et de performance sportives ». Une sorte d’internat des meilleurs athlètes en devenir. Ce matin, dans le vélodrome, on compte trois filets, deux personnes et une étoile montante. Il y a aussi quelques sacs de badminton ici et là. Et surtout une grosse cinquantaine de volants qui jonchent le sol.
« Ça fait mal au biceps de ne faire que ça », marmonne Lucas. « Pas de mouvement de bras, mouvement de tamis, martèle Sandrine Bernard. Tu ne fixes pas bien avec ta raquette en coup droit filet. » L’entraîneuse nationale des équipes de parabadminton malmène son poulain. Même si celui-ci a été sacré champion du monde en Corée du Sud. C’était en novembre 2017, quelques jours après son vingtième anniversaire.
« Il a son caractère de gamin de 20 ans. Mais je suis là s’il faut remettre les choses en place. »
Sandrine Bernard, son entraîneuse
Premier entraînement, après deux semaines de vacances. Au menu aujourd’hui et pour les trois prochains mois : séance de volants courts, contre-amortis, défense courte, déplacements vers l’avant. Les gammes font le jeu. Elles doivent combler ses lacunes. « Les adversaires utilisent ça pour me bloquer », confie Lucas.
Cheveux courts teintés de blond, barbe bien taillée, joues rouges. Ce visage juvénile montre des signes de fatigue. En témoignent le maillot bleu nuit et le short blanc : totalement trempés. Le grand garçon de 1m93 se fait balader sur le court. Mais le mouvement est fluide. Le handicap à la jambe droite ne se remarque pas. Il se devine tout au plus.
La tête froide
Il n’existe qu’un CREPS en France référencé « sport handicap ». Et il est ici, à Bourges. Si Lucas est venu s’y entraîner exclusivement il y a un an et demi, ce n’est donc pas par hasard. Pour rester au plus haut, il doit cravacher. Même un titre de champion du monde n’offre aucune espèce de gloire au jeune badiste de l’équipe de France. Très peu vivent du badminton chez les valides. Alors chez les « para », n’en parlons pas.
Il lui faudra donc chercher un emploi en parallèle de sa carrière sportive. Là encore, le jeune étudiant a trouvé à Bourges une formation adaptée à ses ambitions. Pour préparer les derniers championnats du monde, Lucas bénéficie d’un emploi du temps allégé à l’IUT. Les équipes pédagogiques du département gestion des entreprises et administration (GEA) et celles du CREPS se sont mises d’accord : accorder à Lucas une année supplémentaire afin d’obtenir son DUT.
Pas toujours la tête aux études, Lucas a parfois fait l’impasse sur certains cours. « Des fois, il a son petit caractère, celui d’un gamin de 20 ans un peu chieur, glisse son entraîneuse pleine de malice. Mais je suis là s’il a besoin que je remette les choses en place. » Et l’étudiant est bien conscient de bénéficier d’un certain privilège dans ses études. « J’ai été souvent absent pour préparer cette compétition, concède-t-il. Mais je suis content que cela ait porté ses fruits. » Il reconnaît pouvoir suivre des études parfois en dilettante. Mais il est champion du monde.
Le choix a payé. Quand on aspire à travailler dans la finance, c’est la moindre des choses. Ses contrats publicitaires, il les gère lui. Sa petite entreprise ne connaît pas la crise. « La fédération me soutient. J’ai des contrats avec les fondations FDJ et Banque Populaire. J’ai un équipementier chinois Li-Ning », énumère t-il. Là-dessus, il épate même ses professeurs. Et pas qu’eux.
« Lucas est de ces sportifs qui ont le mental pour le haut niveau. »
Thierry Gautier, son préparateur physique
Thierry Gautier a entraîné les équipes de France de boxe pendant quinze ans, notamment le regretté Alexis Vastine. A l’époque, Lucas s’est intéressé à leur collaboration. Quelques années plus tard, le voilà suivi par ce même Thierry Gautier. L’ancien boxeur sait que sa méthode d’entraînement convient au jeune badiste. « C’est un passionné, affirme-t-il. Il sait ce qu’il veut et a déjà des perspectives très claires. » Le titre paralympique ou rien. Le préparateur est convaincu que « Lucas est de ces sportifs qui ont le mental pour le haut niveau. » Mais il faut aussi le ramener sur le droit chemin. « Quand je dis à ce mec de 20 ans, numéro un mondial, de ranger sa chambre, c’est pour lui dire de ne pas oublier que c’est ce qu’il fera demain qui compte. »
Lucas est moqué, mis de côté parce qu’il boitait. Il en ressortira endurci.

Les lendemains ne l’effraient pas le moins du monde. « Depuis le début, il n’a peur de rien, reconnait sa mère Marie Mazur. Quand il a décidé, il fait. » Sa volonté et sa carrure s’adapteraient volontiers au combat, aux sports rugueux comme le rugby qu’il a exercé collégien. Rugby que pratiquent encore ses deux grands frères : Paul, actuellement aux Etats-Unis, et Hugo, semi-professionnel à Marcq-en-Baroeul en Fédérale 2 (la quatrième division nationale), qui vient d’honorer sa première sélection avec l’équipe de Pologne. Sa courte période rugbystique à Colomiers (Haute-Garonne), lorsqu’il était ado, aura eu raison de son envie de faire comme les aînés. Au moment où les clubs pros recherchent déjà du potentiel, la sélection est rude.
Compétition et handicap ne font pas bon ménage. Sa cheville défaillante, sa hanche raide, il va aussi les prendre en pleine figure à l’école. À cet âge les enfants sont décidément les plus francs, ou plutôt les plus friands de coups bas. Lucas est moqué, singé, mis de côté. Tout ça parce qu’il boîte. Bas de surcroît. Il en ressortira endurci.
Le cœur gros
Moins de dix ans plus tard, cet épisode, « il l’a effacé de sa mémoire » selon Marie. Elle, elle n’a pas oublié. Indéniablement maman poule depuis l’accident vasculocérébral qui a affecté la jambe droite de son fils. Lucas est alors âgé de trois ans. Ses parents sont très présents dès les débuts de la rééducation. Lourde et difficile. Des séances de kiné à vie pour assouplir ses muscles le ramènent chaque jour à sa condition d’adulte handicapé. « Il est passé de droitier à gaucher. Il a retravaillé son champ de vision, son équilibre, ses appuis grâce à de la rééducation psychosensorielle et psychomotrice, se souvient sa mère. Il a un courage et une volonté formidable. »
« Je mets beaucoup de pression sur mes proches, sans forcément m’en apercevoir sur le moment »
Lucas Mazur
Jamais colérique, rarement demandeur. Le chemin vers la maturité le mène peu à peu à réclamer de l’aide. Juste un peu pour déléguer. Peu, c’est le mot. « J’ai voulu le réorienter sur géomètre, mais ça ne lui plaisait pas. » Même sa mère, conseillère chez Pôle emploi, n’a pas eu son mot à dire pour aiguiller son propre fils, le premier décideur. « C’est quelqu’un de très exigeant, complète Sandrine Bernard. Tant envers lui qu’envers les autres. » Le jeune adulte en prend conscience avec le recul. « Je mets beaucoup de pression sur mes proches, sans forcément m’en apercevoir sur le moment. » La faute à un stress qu’il intériorise. Sa mère, elle, le ressent. « Il veut tout, tout de suite », râle-t-elle.
Obtenir gain de cause, vite, c’est une vieille habitude. De son AVC, Lucas ne garde qu’un et un seul souvenir : celui du camion Playmobil. Sa tante le lui a offert, dès le lendemain de l’opération, pour récompenser sa bravoure. « C’est peut-être lié », reconnaît-il. Vivre vite. Intensément. Plutôt que de perdre du temps. « Quand je marche, je boîte, mais pas quand je cours. »
Dates clés
18 novembre 1997 : naissance à Orléans (Loiret)
Septembre 2012 : débuts au badminton à Colomiers (Haute-Garonne)
Octobre 2016 : triple champion d’Europe à Beek (Pays-Bas)
26 novembre 2017 : champion du monde à Ulsan (Corée-du-Sud)
Janvier 2018 : 13e, 14e et 15e titres de champion de France à Pertuis (Vaucluse)
Novembre 2018 : champion d'Europe en simple et en double mixte,
médaille d'argent du double messieurs à Rodez (Haute-Garonne)
Thomas Dupleix (@ThomasDupleix). Interviews réalisées les 8 et 11 janvier 2018.
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