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Cyclisme : l’amour pour Thibaut Pinot s’est propagé jusqu’au Pays basque

Ce samedi 7 octobre, le Tour de Lombardie marque la der du coureur franc-comtois. De par ses performances et son aura, Thibaut Pinot est entré dans le cœur de nombreux supporters français. À commencer par celui de Paul Badiola. Présent dans le virage Pinot, déployé dans le Petit Ballon lors du dernier Tour de France, le Luzien avait prévu de se rendre en Italie pour célébrer son idole une ultime fois. Les études ayant pris le dessus, il suivra le Collectif Ultras Pinot à distance.

Dimanche 30 juillet. Paul Badiola erre, avec ses amis, dans les rues de Bayonne. Posté rue des Basques, au comptoir du Cafecito, le Luzien porte – à l’instar de ses homologues festayres – un foulard rouge et un ensemble blanc. Mais le t-shirt qu’il arbore diffère. Il est frappé de trois lettres : celles du CUP, le Collectif Ultras Pinot, dont le logo est calqué sur celui du PSG des années 92-96, le club de cœur du coureur franc-comtois. « Il va en virage au Parc des Princes, c’est un vrai ultra, explique Paul Badiola. Il était au Clasico il y a 15 jours, il continuera à y aller. » 

En plus de sa traditionnelle tenue, le jeune supporter arbore deux bracelets au poignet : un vert, nécessaire pour entrer dans le périmètre de la feria, et un blanc, qui atteste de sa présence, une semaine plus tôt, dans le virage Pinot. Située à deux kilomètres du sommet du Petit Ballon, cette courbe XXL – recouverte de peinture – a été conçue de toute pièces par le CUP, la FFL (Fédération Française de la Lose) et Parions Sports, la marque de paris en ligne de la FDJ, co-sponsor de l’équipe de Pinot.

Paul Badiola (accroupis, quatrième en partant de la gauche) et les membres du CUP, le samedi 22 juillet.

En plus des pancartes et des banderoles (« Virage Pinot, no Tibo no party ») déployées à foison, toutes et tous étaient réunis, à l’unisson, pour célébrer leur idole. Au rythme des tambours et chants : « Cha – la la – la la – la la Thibaut Pinot ». Mégaphone dans les mains, Arthur Vichot s’égosille. Pote et ex-coéquipier de Pinot, le double champion de France (2013-2016) booste les supporters, plutôt âgés entre 20 et 40 ans, venus de tous horizons.

« La fête du cyclisme panache »

Chauffés à blanc, ils accueillent leur coureur fétiche qui déboule seul. En tête. Galvanisé par des centaines et des centaines d’hommes et de femmes déchaînés, le natif de Lure (Haute-Saône) écrase littéralement les pédales. À 27 bornes de l’arrivée au Markstein, il compte 22 secondes d’avance sur Tom Pidcock (Ineos Grenadiers) et Warren Barguil (Arkea-Samsic), ses premiers poursuivants. Emmené par les Jumbo-Visma de Jonas Vingagaard, le groupe Maillot Jaune pointe à 1’25.

Passé en voiture quelques instants plus tôt, Marc Madiot, au volant, n’a pu contenir son émotion. En larmes, bouche bée. « Le virage Pinot, c’est l’image de ce Tour 2023, lâche Paul Badiola. C’était sa fête, la fête du cyclisme qu’on aime, du cyclisme panache. Au départ, mes potes ne comprenaient pas pourquoi j’avais traversé la France pour cet événement. Ils trouvaient ça bête. Ils ont fini par comprendre. C’était une aventure géniale. J’ai fait de super rencontres. » 

Pendant les Fêtes de Bayonne, les « Cha – la la – la la – la la Thibaut Pinot » se sont multipliés dans les artères de la cité basque. Forcément son fameux t-shirt du CUP a tapé dans l’œil des férus de la petite reine. « Les gens venaient me remercier spontanément, se souvient-il. Toutes les dix minutes. J’étais super content qu’on reconnaisse enfin que cet amour pour Thibaut était justifié. Par amour, je me cachais lors des repas de famille avec mon portable parce que Thibaut était à l’avant. » Comme sur le Tour des Alpes, en avril 2022 (deuxième de la quatrième étape, vainqueur de la suivante). « Il m’arrivait aussi de crier tout seul dans mon salon et de réveiller les voisins ainsi que mon entourage. Ils me prenaient pour un hystérique », sourit-il. 

Cet amour pour le grimpeur de Haute-Saône est « complexe », lâche ce pratiquant de rugby. « Ma passion pour le vélo s’est construite au fur et à mesure. Comme tout Français, j’ai regardé le Tour quand j’étais plus jeune. Il y avait Sandy Casar, Christophe Moreau, Brice Feillu, Sylvain Chavanel ou encore Christophe RIblon, égrène-t-il. À l’époque, la plupart des Français avaient une mauvaise image du cyclisme : c’était ennuyant, les gens pouvaient s’endormir devant leur télé. En 2011, en plus de la Voecklermania, je me souviens que Pierre Rolland a dépassé Alberto Contador dans l’Alpe d’Huez. J’ai un grand respect pour lui mais il a manqué de charisme pour que j’accroche. » 

Des montagnes russes émotionnelles

Puis vient 2012. « Un jeune champion gagne lors de son tout premier Tour de France. Un 8 juillet, à Porrentruy », précise Paul Badiola. Cette pépite, c’est forcément Thibaut Pinot. Pour le coup, ce dernier se révèle être très charismatique. « Pour nous, fans de cyclisme âgés de 20 à 40 ans, on n’a pas connu Bernard Hinault, ni Laurent Fignon et on n’avait eu aucun coureur générationnel. Jusqu’à Thibaut. Certes il n’a jamais gagné le Tour comme eux, mais il a gagné l’amour du public. »

« Il est naturel, un peu timide, proche de ses chèvres à Mélisey, est très famille, énumère le supporter luzien. Ça aurait pu être notre pote en fait. Il a ses coups de gueule, aussi. Un jour, il a été invité par Macron (NDLR : en 2016, à l’époque ministre de l’Économie) sauf qu’il voulait partir à la pêche et faire un barbecue avec ses potes. Il ne comptait pas s’y rendre. C’est Madiot qui l’a obligé à y aller, notamment par rapport aux sponsors », relate le fan basque, qui se met à détailler chacune de ses participations à la Grande Boucle.

« En 2013, il passe à travers : il chute et rencontre des problèmes en descente. En 2014, il finit troisième. Tout le monde se souvient de lui sur le podium (NDLR : vêtu du maillot blanc avec l’Arc de triomphe en fond) mais beaucoup moins de Jean-Christophe Péraud, qui termine pourtant deuxième. Thibaut avait sacrément animé la course. En 2015, on pense qu’il va passer une nouvelle fois à travers mais il parvient à s’imposer lors de la 20e et avant-dernière étape, à l’Alpe d’Huez. » 

Non partant au bout de 13 jours de course en 2016, le protégé de Marc Madiot abandonne à la veille de l’Izoard un an plus tard. Il ne revient sur le Tour qu’en 2019. « Cette année-là, on sentait qu’il allait se passer quelque chose. Il a d’abord fait un super coup, à l’ancienne, avec Julian Alaphilippe, sur le final vers Saint-Étienne, grignotant près de 30 secondes. Puis, deux jours plus tard, il a perdu 1’40 sur un coup de bordure, à cause d’un mauvais placement. Derrière, il s’est imposé au sommet du Tourmalet. » De vraies montagnes russes émotionnelles. « Le lendemain, il surdomine tous ses adversaires dans le Prat d’Albi. Il dépose tous les favoris, qui sortent de sa roue un par un, dont le futur vainqueur Egan Bernal. » 

Puis survient le drame, à 72h du terme. Alors qu’il était bien placé pour succéder à Bernard Hinault, dont l’ultime titre remonte à 1985, un abandon inattendu – « à cause d’une blessure qui n’est jamais arrivée à aucun cycliste » – vient ébranler l’épreuve. Un départ qui a ému aux larmes la France de juillet. « Jusqu’alors, mes potes, qui ne sont pas des passionnés de cyclisme, me chambraient parce qu’ils me disaient que Thibaut n’allait jamais gagner le Tour, qu’il ne faisait que se blesser. Mais ce jour-là, ils ont vu les images et m’ont dit : ‘Putain, j’avais les larmes aux yeux, j’avais des frissons’. Finalement, ce Tour 2019 résume très bien sa carrière, faite de hauts et de bas. »

En 2020, la Grande Boucle – décalée en septembre à cause du Covid-19 – s’élance de Nice. Deuxième du Dauphiné quelques jours auparavant, Pinot glisse sur une route détrempée, à deux bornes de la ligne. « Une blessure au dos qu’il s’est traîné pendant deux-trois ans », peste Paul Badiola.

Week-end à… Bergame

Auteur d’un dernier baroud d’honneur sur le Giro en mai dernier, où il a terminé meilleur grimpeur et décroché une place dans le top 5 du général (grâce à une belle performance lors du dernier chrono en côte à Monte Lussari), Pinot (33 ans et 14 années pros) s’apprête à raccrocher ce 7 octobre. L’Italie, son pays de cœur, sera le théâtre de sa der.

Après deux abandons sur les Tours Poitou-Charente (chute) et du Luxembourg (malade), le tricolore a pu s’aligner les trois semi-classiques transalpines (Tour d’Émilie, Coppa Bernocchi, Trois vallées varésines) avant de prendre part à « Il Lombardia », sa course fétiche. Cinquième en 2017 puis troisième en 2015, il a triomphé sur ce Monument cycliste en 2018, après avoir lâché Vincenzo Nibali, double vainqueur et lauréat du Tour 2014. Un succès de prestige retransmis en clair sur la chaîne L’Équipe. 852 000 téléspectateurs (leur meilleur résultat d’audience à l’époque) avaient répondu présent.

Ce samedi, Paul Badiola devait se rendre sur les hauteurs de Bergame pour célébrer une dernière fois son idole. C’est presque la mort dans l’âme qu’il a dû renoncer. À 24 ans, cet étudiant en sixième année de médecine s’attelle à la préparation de son concours d’internat, qui a lieu la semaine suivante. « Il faut faire des sacrifices », souffle le membre du CUP, qui scrutera de près, devant sa télé, ses amis qui animeront un nouveau virage.

« On a eu des échanges assez faciles et appréciables avec la Groupama-FDJ et la RCS (NDLR : l’organisateur), qui a été accueillante, facilitante et enchantée de notre venue », précise Humbert, cofondateur du Collectif Ultras Pinot. Dans un souci d’organisation, un Discord a notamment été impulsé en amont pour que les supporters puissent mettre en place différents covoiturages et gérer les hébergements.

Placée dans l’ultime « repecho », à trois bornes de l’arrivée, la « Curva Pinot » n’a été dévoilée qu’au dernier moment pour ne pas qu’elle soit prise d’assaut trop tôt. « On va ensuite filer à l’arrivée pour chanter une dernière fois autour du bus, prolonge Humbert. Même si ça sera différent du Tour, nous sommes super contents de marquer le coup une dernière fois. C’est une manière sympa de se réunir et de lui dire merci une dernière fois. » « Comme le disait Marc Madiot une fois en interview, Thibaut va parfois vous faire pleurer mais quand il va gagner, il va vous faire sauter au plafond. Ses victoires ont une saveur particulière. Thibaut est un coureur qui donne des émotions », rappelle Paul Badiola. Et comme il avait raison.

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Champion de France du chrono (2016), Thibaut Pinot a également glané une étape (trois sur le Tour, deux sur la Vuelta, une sur le Giro) et s’est hissé dans le top 6 de chacun des trois grands tours. 

Nicolas Gréno (@nicolasgreno). Crédits photos : Paul Badiola

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