Déjà médaillée en individuel lors des championnats d’Europe de short track en 2019, Tifany Huot-Marchand a décroché l’or, le dimanche 24 janvier (lors de la journée internationale du sport féminin) en compagnie d’Aurélie Monvoisin, Gwendoline Daudet, Aurélie Lévêque et Cloé Olliver. Il s’agit de la toute première médaille d’or d’un relais tricolore.

cultureSPORT : Qu’as-tu ressenti lorsque tu es allée chercher la toute première médaille d’or du short track français en relais (1) ?
Tifany Huot-Marchand : Après avoir été frustrée de mes championnats en individuel, monter sur le podium, de surcroît avec une nouvelle équipe, était quelque chose d’assez dingue ! Pour son premier relais sur une compet’, Aurélie (NLDR : Lévêque) est montée sur le tout premier podium de l’histoire du short track français en relais, gars et filles confondus. C’est incroyable ! Au départ, nous avions un objectif de top cinq. Du coup, nous étions déjà très fières d’être allées jusqu’en finale. Derrière, on savait qu’on irait chercher une médaille. Nous étions surmotivées. On a clairement fait nos preuves dès le premier tour puis on a enchaîné les bonnes courses.
cultureSPORT : Comment s’est passé le tout dernier relais, celui que tu as assuré ?
Tifany Huot-Marchand : Les Russes ont gêné les Hollandaises, qui ont gêné les Italiennes. Ça a été tout un micmac. Nous, on était à l’arrière du peloton dès le début de course. On était assez bien, assez sûres de nous parce qu’on leur mettait la pression. On savait qu’il y allait avoir du grabuge et que ça s’énervait dans tous les sens. Du coup, cette Russe a causé une faute qui a entraîné deux chutes. De notre côté, on a assuré et tenté de remonter. On est vraiment allé chercher la victoire. Après, c’était un peu compliqué parce qu’il y avait eu un gap avant. Mais les Russes se sont fait disqualifier et c’est comme ça que nous avons été propulsées vers la première marche du podium.
Le relais féminin
"Avec Aurélie Monvoisin, Gwendoline Daudet et moi, on est trois à avoir plus d’expérience. Aurélie Lévêque et Cloé Olliver sont deux jeunes qui viennent tout juste d’intégrer le groupe. Elles sont vraiment en train de progresser. C’est cool parce qu’on a besoin de relève en France. On cherche des filles, on en veut (rires). Je suis vraiment super fière d’elles. Elles ont vraiment bien géré la pression. On ne s’est pas toujours très bien entendues dans l’équipe. Il y a eu un gros passage à blanc où la cohésion était pourrie, où on ne s’entendait pas du tout. Depuis cette saison, tout va mieux. On a enfin sorti la tête de l’eau. Le travail engrangé depuis le début de la saison s'est concrétisé avec ce résultat. De partager tout cela avec elles, cela fait énormément de bien. Pour tout le monde. Même pour l’équipe masculine."

cultureSPORT : Comment abordes-tu une finale à quatre ? Avec les chutes et autres disqualifications, tout reste possible ?
Tifany Huot-Marchand : De temps en temps on a des finales à cinq (NDLR : après des repêchages), mais c’est rare. Là on avait une finale basique, à quatre équipes. On l’a abordé sereinement parce qu’on avait battu les Italiennes au premier tour.
cultureSPORT : Ça vous a mis en confiance…
Tifany Huot-Marchand : Exactement ! Notre cohésion était à bloc, on s’entend bien, ça joue énormément. On a fait une bonne prestation en demi-finale aux côtés des Russes. Après, je ne nous voyais clairement pas gagner.
cultureSPORT : Comment faire pour capitaliser sur cette victoire qui est, au passage, un formidable symbole pour le sport féminin ?
Tifany Huot-Marchand : C’est assez dingue parce qu’on a décroché cette médaille en pleine journée internationale du sport féminin… C’est vraiment cool pour nous. J’espère qu’on va en parler. Là on est mardi et je trouve qu’il n’y a aucune répercussion. C’est vraiment frustrant. J’attends de voir comment va se dérouler la semaine. C’est un truc incroyable, exceptionnel qu’on a réalisé en décrochant le premier titre européen en relais… Notre discipline est olympique… Je trouve dingue qu’on n’en parle pas.
Là, on a LE résultat. Qu’est-ce qu’il faut de plus pour que ça puisse être télévisé et que ça fasse un peu parler de nous ?
Tifany Huot-Marchand
cultureSPORT : Justement, comment réagis-tu au fait que le short track soit davantage mis en lumière pendant les Jeux Olympiques et moins médiatisé les trois années qui suivent ?
Tifany Huot-Marchand : Je me suis beaucoup posé la question de savoir pourquoi notre sport n’était pas médiatisé. Aux Jeux d’hiver, il est quasi impossible de voir du short track si on ne s’y prend pas tôt. Les places sont prises d’assaut, les gens en raffolent. C’est un sport plutôt télégénique. C’est quand même fou. Je me suis toujours dit que c’était peut-être dû à nos résultats. Peut-être qu’on n’en avait pas assez ? En 2019, j’ai été vice-championne d’Europe et c’est passé un peu à la trappe. Mais là, on est championnes d’Europe ! Ça n’a jamais été fait auparavant… J’ai l’impression qu’on va passer à côté une nouvelle fois. Là, pourtant, on a LE résultat. Qu’est-ce qu’il faut de plus pour que ça puisse être télévisé et que ça fasse un peu parler de nous et de notre discipline ?
cultureSPORT : Après avoir décroché l’or aux championnats d’Europe, une breloque est-elle envisageable aux Mondiaux en mars ?
Tifany Huot-Marchand : Pour se qualifier pour les championnats du monde, il faut être dans le top huit de la Coupe du monde. Malheureusement, les épreuves ont été annulées cette année. À ce jour, nous sommes neuvièmes au ranking. Il n’y aura donc pas d’équipe féminine aux Mondiaux (2). Les instances essayent de récupérer une épreuve de coupe du monde. Si elle a lieu, elle changera peut-être la donne. Si on arrive à remonter cette fameuse place, notre objectif sera d’arriver en finale.

cultureSPORT : Même si la déception semble prédominer, quel bilan tires-tu de tes “Europe” en individuel ?
Tifany Huot-Marchand : Ça faisait un an qu’on n’avait pas couru. C’était long. Le short track est un sport à concurrence directe donc on a besoin de compétition pour pouvoir progresser. La compétition, c’est ce qui m’anime. N’ayant pas eu de repères pendant un grand moment a compliqué ma mise en route sur ces Europe. La journée de qualifications s’est plutôt bien passée mais je me suis fait pénaliser en demies, après une faute sur une adversaire lors du 1 500m. C’était un peu dur à encaisser. Après ma médaille d’argent en 2019, je comptais vraiment aller en finale sur le 1 000m. J’étais en forme comme jamais. Je me sentais vraiment bien mais en demies, je me suis fait marcher dessus. Littéralement. Du coup j’ai chuté et je n’étais pas dans une position favorable pour être repêchée. Je décroche finalement la septième place. Ce n’était clairement pas ce que je visais. C’est frustrant. Très, très frustrant. Quand on se sent bien, quasi à 100% de sa forme et qu’on passe à côté…
cultureSPORT : Désormais, l’objectif est de prendre ta revanche aux Mondiaux ?
Tifany Huot-Marchand : Exactement. On est rentré à Font-Romeu, là où on habite et où on s’entraîne. Je commence à me réentraîner à bloc dès demain pour les “Monde”. Je ne vais rien lâcher. Ça ne sera pas mes premiers Mondiaux. Ça fait déjà quelques années que j’enchaîne les places individuelles. C’est une très grosse compétition, la deuxième derrière les Jeux. Je vais être surmotivée pour prendre ma revanche.
cultureSPORT : Comment fais-tu pour t’organiser au niveau des entraînements en pleine période de Covid ?
Tifany Huot-Marchand : Comme on n’est pas professionnels, on n’est pas payés pour ce que l’on fait. Toutefois, on s’entraîne comme des pros. Entre la préparation du matos, les échauffements, les séances et la récupération, on est à huit heures d’entraînement par jour. Cela nous fait des semaines à trente-cinq heures. On baigne clairement dedans. Nos habitudes n’ont pas vraiment changé en période de Covid. On a des attestations (NDLR : délivrées par le Ministère des sports) qui nous permettent d’aller s’entraîner. C’est vraiment un point positif, parce qu’en ce qui concerne le short track, ce n’est pas le cas partout dans le monde.
cultureSPORT : Au point de vue financier, comment fais-tu pour t’en sortir ?
Tifany Huot-Marchand : J’ai la chance d’être subventionnée par la ville de Belfort, là où se trouve mon club. Après, je me débrouille comme une étudiante.
cultureSPORT : Dans quel cursus t’es-tu engagée ?
Tifany Huot-Marchand : Je suis en première année de Master métiers de l’enseignement de l’éducation et de la formation (MEEF). J’ai intégré le dispositif Inter’Val de Grenoble qui permet aux sportifs de haut niveau de s’entraîner toute l’année et d’y aller seulement quand on est présent, donc pendant nos saisons offs. Avec le Covid, tous les étudiants sont à pied d’égalité, même nous, les étudiants sportifs parce qu’on fait tout à distance. Au moins, je peux passer les examens de la même manière que les autres. Sinon, en temps normal, je dois les passer en fin d’année, quand tout le monde a terminé. Ça ne me dérange pas, mais au moins, on est dans le même bain que les autres.
Fiche d’identité
Prénom/nom : Tifany Huot-Marchand
Âge : 26 ans (né le 10 mai 1994 à Besançon)
Taille/poids : 1m63/51 kg
Club : ASM Belfort vitesse
Palmarès : En individuel (1 000m) : 2e des championnats d’Europe 2019. En relais (3 000m) : championne d’Europe 2021, 3e des championnats d’Europe 2018, 3e de la coupe du monde de Dresde en 2016 et de Dordrecht en 2017
Ses records personnels : 43’’764 sur 500m ; 1’30’’600 sur 1 000m ; 2’21’’585 sur 1 500m
(1) En individuel, Bruno Loscos et Thibaut Fauconnet ont été sacrés champions d’Europe en 2001 et 2011.
(2) En revanche, il y aura deux femmes et deux hommes en individuel.
Propos recueillis par Nicolas Gréno (@nicolasgreno). Crédit photo de la une : International Skating Union (ISU).
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