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Roger Hairabedian : « Ceux qui ne considèrent pas le poker comme un sport ne le connaissent que superficiellement »

L’homme que nous allons vous présenter aujourd’hui a connu une vie sportive mouvementée. Un temps juddoka, Roger Hairabedian a dû stopper sa carrière à cause d’une blessure au genou (ligaments croisés) en 1981. Il a cependant rebondi dans un autre sport… le poker. Le Marseillais, âgé de cinquante-huit ans, est devenu double champion du monde (2012 et 2013). Rencontre avec un des meilleurs joueurs de la planète.

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1er bracelet WSOPE remporté à Cannes le 26 septembre 2012 pour 142 590€

♠ LE POKER

Au tout début de votre carrière de judoka, vous rêviez d’être champion du monde. Vous vous retrouvez aujourd’hui double champion du monde… de poker. C’est pour le moins inattendu. Comment analysez-vous ce virage à 360° ?
C’est un coup du sort lié à ma personnalité. Tout simplement parce que j’ai l’âme d’un guerrier, d’un combattant hors pair, repoussant toujours mes limites grâce à un travail acharné. Le rêve de tous les enfants est de réaliser l’exploit. Devenir double champion du monde de poker est véritablement un exploit dont je suis fier.

D’où vous est venue cette passion pour le poker ?
Cette passion m’est venue lorsque j’ai découvert la magnificence de ce jeu qui, bizarrement se rapproche d’un sport de combat. J’en veux pour preuve, l’attrait de certains sportifs très connus pour le poker. Je comprends combien ces combattants peuvent retrouver leurs sensations après l’arrêt de leur carrière.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous êtes officiellement devenu joueur de poker professionnel ?
Ce fut véritablement une revanche pour moi car malgré des résultats plus que satisfaisants en équipe de France de judo, je n’avais pas réussi à obtenir la consécration suprême comme Teddy Riner. Ce dernier d’ailleurs, qui est en train d’exploser tous les compteurs jusqu’à écœurer tous ses poursuivants. Il est certain que jamais personne ne pourra égaler ses scores. Et c’est à cela que je tends au poker : devenir l’ultime. Mais mon activité ne se résume pas seulement à être joueur professionnel de poker, je suis aussi consultant et partenaire sur la partie poker du casino Essaadi à Marrakech, où nous sommes en train d’exploser tous le compteurs en terme d’affluence, réussite due à un travail acharne de toute une équipe.

D’après vous, pourquoi y’a-t-il un réel engouement des sportifs autour du poker ses dernières années (Sébastien Chabal, Gaël Monfils, Rafael Nadal, Ronaldo, etc) ?
L’engouement de la part de sportifs de haut niveau tel que Ronaldo, Chabal, Monfils, Becker et autres répond à ce que je décrivais précédemment, l’attrait de la compétition. Les sites connus l’ont bien compris et leur donnent les moyens de s’adonner correctement à cette passion naissante pour certains d’entre eux.

Vous êtes actuellement le seul joueur de poker en France à détenir deux titres mondiaux. Est-ce que la relève est assurée derrière vous ? Quel est le niveau Français ?
Je suis le seul Français à détenir deux bracelets pour le moment mais ne serai pas le seul. Par contre, ce qui est notable, c’est que je l’ai fait sans sponsor. Ce qui est certain, c’est que je ne serai pas le seul détenteur de bracelet car le niveau Français est dans le top cinq mondial.

1_crédit_Gregoire Camuzet

Pour rendre le poker plus attractif, j’aimerais le voir s’anoblir plus encore.

Nous pourrions également, à l’image du football, créer un championnat de France.

Comment définiriez-vous votre jeu, votre attitude ?
Mon jeu est imprévisible et moi-même, je ne sais jamais à l’avance quelle va être ma stratégie. Ma clé est de dérouter mes adversaires, les diminuer, les neutraliser pour ensuite leur infliger le KO. En bref, tantôt caméléon, tantôt lion.

Vous organisez le Marrakech Poker Open depuis 2006. Le casino fait depuis parti, grâce à vous, des meilleures destinations poker au monde. Espérez-vous toujours accueillir un EPT au Maroc ?
Un EPT non mais un WSOP, pourquoi pas… J’en ai déjà parlé et il n’y a pas d’hostilité.

Que souhaitez-vous dire aux personnes qui ne considèrent pas le poker comme un sport ?
Ceux qui ne considèrent pas le poker comme un sport ne le connaissent que superficiellement.

Quelles sont les solutions possibles pour développer et médiatiser encore un peu plus le poker en France ?
Pour rendre le poker plus attractif, j’aimerais le voir s’anoblir plus encore. Cela passerait par de simples détails tels que la tenue vestimentaire, par exemple. Des joueurs vêtus avec plus de classe autour d’une table rendrait service au jeu et à la perception que l’on pourrait en avoir, d’un œil extérieur.
Nous pourrions également voir émerger la Fédération Française de poker, et à l’image du football, créer un championnat de France de poker. Chaque ville serait représentée par une équipe composée de ses meilleurs joueurs. Cela implique un poker associatif encore plus fort qu’il ne l’est déjà et une mise en lumière des clubs de poker locaux.
Nous pourrions également, lors des finales télévisées des grands tournois, rendre la chose plus spectaculaire en raccourcissant les durées des niveaux en finale. Ceci rendrait le téléspectateur moins passif devant son écran et créerait une tension plus importante chez les joueurs qui aurait pour conséquence, de créer plus d’action encore.
Cela ne vous fait pas vibrer lorsque vous entendez crier un commentateur « Goaaaaaaaal » au football, lors d’un but ? Et bien il nous manque ce côté pétillant mais je suis sur que l’on peut évoluer. Pour l’heure, je pourrais faire le parallèle entre les ambiances lors des retransmissions de matchs de basket Français et US. On n’a pas encore su mettre en image le coté spectaculaire de ce jeu.

Culture Sport Roger Hairabedian judo
En 1976, Roger affronte le Yougoslave Mijalkovic au Tournoi de Paris

♣ LE JUDO

Que pensez-vous du niveau actuel en judo ?
J’ai fait parti des pionniers de la réussite du judo français au niveau mondial. Ce dernier se plaçait dans les trois meilleures nations. Aujourd’hui encore, le judo français maintient son niveau.

Quelles sont les différences notables que vous relevez entre le judo des années 70/80 et celui des années 2000 ?
Les différences majeures que je note résident déjà dans la mixité plus affirmée que je peux voir dans le Judo moderne. Ce sport est beaucoup plus mixte désormais. Et puis, le Judo des années 2000 a créé Teddy Riner. Les records de cet athlète ne pourront selon moi, pas être égalés. Et ce simple fait rend le Judo français plus fort de fait.

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Je fus KO durant de longues années, pensant tout le temps à ce que j’avais raté.

Le judo était toute ma vie. Mais j’ai rebondi.

Vous n’avez jamais concouru lors des Jeux Olympiques (remplaçant en 1980). Est-ce que ça reste, encore aujourd’hui, la plus grande déception de votre vie ?
Le fait de ne pas participer aux jeux de 1980 fut une des plus grandes déceptions de ma vie. J’avais tout sacrifié pour le judo. Qui n’aurait pas été déçu à ma place ? Je fus KO durant de longues années, pensant tout le temps à ce que j’avais raté. Le judo était toute ma vie. Mais j’ai rebondi.

Lors d’une rencontre France-Japon en 1977, vous battez le champion du monde japonais par étranglement. Après le combat, il a même fallu le réanimer ! Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ? La peur a-t-elle effacé la joie de cette très belle victoire ?
Lorsqu’en 1977, j’ai battu par étranglement le japonais lors du « France-Japon » à Coubertin, devant 3000 spectateurs, personne ne peut imaginer ce que j’ai ressenti. Et bien, ce fut la même chose lorsque j’ai battu Eric Seidel, pour mon deuxième bracelet. J’avais envie de pleurer de joie, un peu comme l’avait fait Yannick Noah lorsqu’il avait gagné Roland Garros. Mais cela fait longtemps que je n’ai plus de larmes.

♥ DIVERS

Outre le poker et le judo, suivez-vous un peu le football et notamment le club de votre ville natale, l’Olympique de Marseille ?
Je m’intéresse beaucoup au football et c’est un vrai régal de pouvoir suivre un match de haut niveau.

Que pouvons-nous vous souhaiter pour la suite ? Un troisième bracelet mondial ?
Je crois que le plus important pour moi est de pouvoir continuer, malgré mon âge à toujours, comme le chantait jadis Michel Fugain, aller plus haut.

♦ FICHE D’IDENTITÉ & PALMARÈS

Né le 19 septembre 1955 à Marseille
Surnoms : Terminator, Big Roger
Ses gains sont estimés aujourd’hui à plus de 3,3 millions d’€uros

JUDO
1977 : vice-champion d’Europe par équipe
1978 : double champion de France par équipe (avec le Racing Club de France)
1980 : champion d’Europe par équipe

POKER
2013 : champion du monde WSOPE, 1er WPT National Annecy, 1er du classement LivePoker, 2e WPT Chypre
2012 : champion du monde WSOPE, 1er du classement LivePoker, 5e EPT de Monaco, 3e EPT San Remo, 1er WPT National Series Mazagan, 1er WPT Mazagan
2011 : 2e du classement LivePoker, 3e EPT Londres, 3e WSOPE, 3e WPT Amnéville, 5e EPT Loutraki (en Hold’em et Omaha)
2010 : 1er du classement LivePoker, 3e WPT Paris, 1er Mazagan Poker Million
2009 : 1er du classement LivePoker, 5e WPT Marrakech, 4e EPT San Remo
2008 : vainqueur du Grand Prix de Paris (5e en 2006)

Crédit photos : Grégoire Camuzet, DR
Note/ WSOPE : World Series Of Poker Europe, WPT : World Poker Tour, EPT : European Poker Tour

2 comments on “Roger Hairabedian : « Ceux qui ne considèrent pas le poker comme un sport ne le connaissent que superficiellement »

  1. Captivant comme interview ! Et il faut avouer qu’il est facile pour tout joueur de poker aguerri de partager son point de vue. Evidemement, il y a une part de chance, mais dans quelle mesure serait-elle plus importante que dans un autre sport ? Débat intéressant…

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