Parce que le Tour de France est une histoire mêlant la fête, le spectacle, mais aussi des drames, Culture Sport a souhaité revenir sur l’un des sprints les plus tragiques de la Grande Boucle. L’emballage massif est aussi dangereux qu’indécis. Dans l’embarra du choix, nous avons choisi de revenir sur Armentières 1994, un véritable carnage.
Les sprinteurs, gladiateurs des temps modernes
Le cyclisme est un sport à risque. L’image d’un peloton de deux cents unités concentrées dans un périmètre restreint roulant à vive allure témoigne de l’équilibre permanent sollicité chez les coureurs. Assimilez à tout ceci la pression médiatique, des sponsors, des proches et les conditions de course parfois défavorables : ce sport, aux apparences de promenade à travers champs et boulevards de renom, est un perpétuel danger. Et lorsque ces hommes s’approchent de l’arrivée, la tension monte, le placement est légion, chaque coureur risque sa vie pour une position adéquate. La splendeur du Tour multiplie les risques. Pourtant, l’organisation frôle la perfection. Toutefois, un détail peut écrouler le château de carte juilletiste. Les quelques défauts persistants se gomment au fil des années. Qu’il est loin le temps où les emballages massifs étaient encadrés par des barrières aux pieds faisant crochet à la voirie. Djamoline Abdoujaparov peut le regretter, lui qui a planté sa roue avant dans ce piège, c’était sur les Champs-Élysées. Si les vitesses actuelles sont vertigineuses, les accidents ne sont pas un phénomène nouveau. Par exemple, en 1958, André Darrigade – le parrain de la cyclo Baiona qui aura lieu le dimanche 30 juin prochain – est percuté par le secrétaire général du Parc des Princes. Parti pour s’imposer, le Landais tombe violement. Heureusement, ses douleurs ne sont que superficielles. Mais Constant Wouters, touché par le sprinteur, succombera à ses blessures onze jours plus tard. Les spécialistes de la discipline, cachés dans les pelotons durant cinq heures se découvrent en l’espace de deux cents mètres. Tous sont obnubilés par la victoire, mais un seul aura l’honneur de lever les bras. Derrière l’heureux vainqueur, une dizaine d’adversaires se lamente de leur propre performance. Le guidon, innocent, est le souffre-douleur habituel du perdant. Mais la déception disparait aussi vite qu’elle n’apparait. Une fois l’adrénaline dissipée, les esprits de ces « casses gueules » prennent du recul et de l’ambition : « ce sera pour la prochaine fois… »
Armentières, carnage nordiste
3 juillet 1994 : le ciel ensoleillé illumine le département du Nord, faisant mentir la légende d’une pluie éternelle. La fête est totale dans la région : après un prologue disputé dans les rue de Lille, le peloton continue sa visite en direction d’Armentières. Chris Boardman, maillot jaune sur le dos laisse les sprinteurs en découdre pour la première arrivée massive de la Grande Boucle. Nelissen, récent champion de Belgique est le mieux placé. Dans sa roue, Abdoujaparov. Jalabert suit les deux favoris de près. Le suspense est à son comble lorsque les coureurs débouchent sur l’ultime ligne droite. Effectuant une vague, le groupe s’écarte sensiblement sur la droite, frôlant les barrières. Plus que cinquante mètres et le nom du vainqueur sera connu. Serait-ce le Belge qui va remporter l’étape ? Non ! Il percute violemment un gendarme ! Le drame est instantané : en une seconde, une partie du peloton s’effondre. La plupart ne sont que légèrement touchés. Mais Nelissen est sérieusement atteint. Jalabert est également en sang. Son visage n’est que plaies ouvertes. Le gendarme, souffle coupé, souffre de côtes écrasées. Les trois malchanceux sont directement transportés à l’hôpital. Abdoujaparov, s’étant écarté au bon moment, s’impose. Il réalisera l’étendue des dégâts quelques secondes après son succès. Jean-Marie Leblanc, alors directeur de course, expliquait les faits par une « erreur humaine ». En bon élève, l’organisation a appris de ses erreurs. Depuis, plus personnes – même un représentant des forces de l’ordre – ne peut stationner sur le chemin des coureurs.
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