Dans quelques petites heures, le Giro 2014 s’élancera de Belfast. Nous sommes donc allés demander à notre consultant Francis Lafargue ce qu’il pensait du parcours de cette quatre-vingt-dix-septième édition et nous donner ses favoris à la victoire finale. L’ancien attaché de presse de la Banesto reviendra également sur le Tour d’Italie 1994 qu’il a vécu aux côtés du double tenant du tire de l’époque, Miguel Indurain.
Francis, pour commencer, que retenez-vous de ce début de saison ?
Ce début de saison a démontré que les valeurs sûres ont toujours leur place. Je pense à Alberto Contador ou Alejandro Valverde, réguliers et vainqueurs ce qui ne me surprend pas du tout au vu de leurs qualités. De même pour l’équipe Omega Pharma-Quick Step qui se rate rarement sur les pavés et qui possède une sacrée équipe.
Quel est le coureur qui vous a le plus tapé dans l’œil depuis janvier, et pourquoi ?
J’ai apprécié la pointe de vitesse de l’ancien champion de France Nacer Bouhanni qui ne devrait pas faire long feu à la FDJ où Arnaud Démarre reste son rival le plus dangereux. Choix cornélien pour Marc Madiot mais je ne m’inquiète pas pour lui. Philippe Gilbert aussi m’a plu dans le Valkemburg à l’Amstel Gold Race. Il domine cette course et son redoutable final. Puis Chris Froome qui remet les pendules à l’heure en Suisse romande. Bouhanni m’a tapé dans l’œil mais aussi les frères Yates en Turquie. Voilà des jeunes dont on reparlera très vite. Et ils ont de qui tenir (fils de Sean Yates). Les colombiens sont à surveiller.
Michal Kwiatkowski, vingt-trois ans, numéro cinq mondial est un coureur complet. On le retrouve aussi bien dans les classiques (trois top 5 dans les Ardennaises, vainqueur des Strade Bianche) que dans les courses à étapes (victoire au Tour d’Algavre, deuxième place au Tour du Pays Basque). Peut-on en faire désormais un vainqueur potentiel d’un Tour de France dans quatre ou cinq saisons (voire moins…) ? En l’absence de Nairo Quintana, est-il déjà le grand favori pour le maillot blanc de la prochaine Grande Boucle ?
Kwiatkowski m’a étonné mais en Romandie il abandonne épuisé. Possible mais pour cette raison je ne me prononce pas sur son avenir dans le Tour de France. C’est une autre paire de manches qui l’attend. Où sera -t-il dans quatre ou cinq saisons ? Il doit confirmer comme Carlos Betancur d’ailleurs. Le maillot blanc trouvera un preneur à Paris mais pourquoi pas un français comme Warren Barguil ou Romain Bardet, dixième à Liège. Il y a une nouvelle génération qui va confirmer dans ce Tour avec des garçons comme Andrew Talansky, Tejay Van Garderen. Mais Quintana peut aussi se retrouver sur le Tour car tout peut arriver dans un Giro de trois semaines…
Avec un effectif de qualité, la formation Ag2r La Mondiale a réalisé quatre premiers mois intéressants. D’après vous, l’équipe de Vincent Lavenu parviendra-t-elle à conserver sa place sur le podium au classement par équipes World Tour en fin de saison ?
Ag2r a fait un excellent début de saison. Lutter pour le classement par équipes World Tour me semble une aberration totale. L’important c’est d’engranger les points pour ne pas se retrouver en seconde division comme en Top 14… C’est un système pervers que l’on a jugé nécessaire, que l’on tente d’améliorer, mais le public n’y comprend plus rien. De plus, l’équipe ou le coureur le mieux classé a uniquement droit au titre et à la photo avec le président de l’UCI. Point barre, ni tour d’honneur, ni prime ou récompense spéciale mais par contre l’obligation de porter le maillot blanc honorifique UCI pour les circuits continentaux. Je vous rassure le sponsor du coureur reste présent contrairement à ses couleurs corporatives… C’est le cyclisme mondial et un vaste débat.
Que pensez-vous du parcours du Giro ?
Le Giro reste une course montagneuse et donc éprouvante. Les pentes des cols sont plus sévères que sur le Tour de France. La dernière semaine réserve toujours des surprises avec l’enneigement du Stelvio et du Gavia. On pédale à plus de 2500 mètres au sommet, donc prudence. Un chrono en montée dans la Vénétie pourrait avantager les grimpeurs comme Quintana avant le Zoncolan la veille de l’arrivée. Quant à la première semaine disputée en Irlande, no comment. Elle favorisera plutôt les sprinteurs. Les favoris se contenteront de se neutraliser entre eux.
A quel coureur conviendrai le mieux le tracé de cette édition 2014 ?
Ils ne sont pas légions. Purito Rodriguez et Quintana pourraient remporter leur premier Grand Tour. Mais le Giro c’est aussi une course très particulière avec beaucoup de bagarre, des petites équipes qui doivent se montrer et capables de travailler pour une autre le cas échéant. On va découvrir de nouveaux visages, à l’image de Betancur l’an passé, avec une nouvelle fois des grimpeurs colombiens ou bien de prometteurs italiens comme Fabio Aru et Moreno Moser.
Et si on faisait un petit flashback ? Il y a tout juste vingt ans, Miguel Indurain, votre poulain, arrive en tant que double tenant du titre. Pouvez-vous nous raconter la suite, vous qui l’avez vécu de l’intérieur ?
Vainqueur des deux Giro précédents, Miguel a trouvé meilleur que lui dans les chronos : le jeune russe Eugéni Berzin qui étonna tout le monde en 1994. Ses problèmes récurrents d’allergies au pollen l’ont certes ennuyé en cette journée de contre-la-montre mais malgré cela il ne put jamais rattraper son retard sur le russe. Un jour sans pour le navarrais. Indurain devait donc attaquer et la presse se régalait de la situation. Les Alpes approchaient. Dans le Stelvio enneigé où je lui passait des vêtements chauds pour l’interminable descente, ses adversaires attendaient vainement son attaque. Miguel passa donc à l’offensive dans le terrible Mortirolo et lâcha le blond leader Berzin vêtu de rose. L’étape fut spectaculaire car l’écart grandissait et le sommet franchi avec plus de quarante secondes, la victoire d’étape à Aprica et d’autres perspectives s’annonçaient alors. Dans la descente, il rejoint Marco Pantani qui avait fait son exhibition dans la rude montée de treize kilomètres avec des passages à 18%. Ce sont des lieux mythiques que l’on connaissait bien entendu. Mais il restait une dernière montée, celle du col de Vallico de Santa Cristina, qui paraissait moins compliquée malgré pourtant quelques passages costauds. Mais pour Miguel commençait alors le calvaire. Le Giro se jouait entre les favoris et Pantani laissait tirer le grand Miguel dans ces faux plats pour l’attaquer sèchement tout près d’Aprica. Coup de massue inattendu comme ce sera le cas aux Arc en 1996 ou déjà à Sestrières sur le Tour 92. Cette fois, Miguel n’avance plus malgré l’aide d’un colombien lâché lui aussi par Pantani, à moins d’une dizaine de kilomètres de l’arrivée. Il voit revenir ses poursuivants immédiats dont Eugeni Berzin. Marco Pantani remportera l’étape reine de ce Giro. Ce fut aussi le podium final il y a déjà vingt ans. J’y étais comme disent les anciens…
Un petit mot sur Romain Sicard, qui va découvrir son premier Grand Tour Italien avec Europcar.
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A titre personnel, quelles sont vos prochaines échéances ?
Je dois me rendre sur le Giro certainement en dernière semaine pour le compte de des cycles BH qui comptent bien revenir dans le peloton professionnel dès 2015 (BH équipait l’équipe Sojasun en 2013). Par ailleurs, je serai sur le Tour de France et le Tour d’Espagne comme relations publiques pour Carrefour qui parrainera respectivement les maillots de meilleur grimpeur et de leader.
Crédit photos : Francis Lafargue, Campagnolo
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