Après une bagarre acharnée entre les deux pilotes Mercedes-AMG durant dix-huit courses, et avant la grande finale à Abu Dhabi (départ demain 14h), essayons d’analyser les parcours de Lewis Hamilton et de Nico Rosberg…
Lewis Hamilton
Le transfert de Lewis Hamilton vers Mercedes-AMG fin 2012 suivait une logique limpide. Le Britannique, à qui l’on prédisait un avenir radieux après son titre en 2008, s’empêtrait dans des difficultés multiples : monoplace rétive en 2009, arrivée tonitruante de son équipier Button dès 2010, nervosité chronique en 2011, manque de fiabilité en 2012. Bref, Lewis avait besoin de changer d’air afin de retrouver un environnement serein qui lui permettrait de briguer à nouveau le sacre. Il fallut attendre 2014 pour atteindre cet objectif, l’exercice précédant lui servant de rodage, aussi bien pour lui comme pour son équipe.
A l’orée de l’année 2014, les observateurs s’accordaient à annoncer un certain avantage pour l’Anglais dans sa rivalité avec Rosberg. Les choses se sont avérées être plus complexes. A Melbourne, Hamilton débutait l’année de la pire des façons, en rentrant au garage dès le premier tour. Son attitude à la suite de cet abandon illustrera bien sa mentalité d’attaquant : le couteau entre les dents, Lewis va s’efforcer de rattraper le temps et les points perdus. En résultait une belle série de quatre victoires de rang (Sepang jusqu’à Barcelone), lui donnant le leadership au championnat. Son succès de Bahreïn restera un de ses remarquables faits d’armes, lors duquel il défendit bec et ongles sa première place face à un Rosberg déchaîné en pneus plus performants. Hélas pour lui, Nico, dans son jardin monégasque, ne fit qu’une bouchée de l’Anglais et le comportement boudeur de ce dernier démontrait bien l’avantage psychologique que prenait l’Allemand. S’ensuivit un été particulièrement houleux : à une malchance incroyable en qualif’ (Hockenheim et Budapest) venait s’ajouter des erreurs étonnantes de sa part (Silverstone, Spielberg). Mais c’est paradoxalement dans cette même période que l’on vit la vraie force mentale de l’ancien pensionnaire McLaren. Il n’aurait pas été totalement surprenant de le voir retomber dans ses coupables travers, en se laissant guider par des sentiments d’injustice incontrôlés comme cela fut le cas dans sa carrière. Or, Hamilton est resté imperméable à la pression, effectuant des remontées éblouissantes sur le tourniquet hongrois et sur les terres de son équipier. Le fameux incident de Spa, dans lequel il perdit tout le bénéfice d’une première moitié de saison téméraire, s’est révélé être un autre tournant du championnat. Extrêmement frustré, il concentra toute son énergie sur la manche de Monza et se transforma dès lors en un rouleau compresseur inarrétable. Cinq victoires successives lui ont redonné la place de leader. Avec dix-sept unités d’avance, rien n’est toutefois acquis : il lui suffirait d’une troisième place alliée à un succès de l’Allemand pour louper le coche. Lewis est, à la veille du combat final, le meneur du jeu, il dispose des meilleures cartes. Nous le voyons toutefois mal se contenter d’une place anecdotique, lui qui avait déjà expérimenté la prudence au Brésil en 2008 avec le relatif succès que l’on sait (seul le miracle de la Toyota de Glock au ralenti lors du dernier virage lui offrit le titre).
Avec deux fois plus de succès que Nico Rosberg (10 contre 5), Lewis Hamilton est incontestablement le plus vaillant des deux. Il n’a jamais laissé transparaître son côté explosif qui avait défrayé la chronique dans sa période McLaren. Il a gagné en maturité cette saison, malgré les assauts de la plus grande malice de Rosberg il est resté focalisé sur la couronne mondiale, et sur les moyens d’y parvenir en piste.
Nico Rosberg
Celui qui était au milieu des années 2000 le futur espoir de la F1 au visage angélique a lui aussi montré une nouvelle face de son caractère. L’épisode des ordres d’équipes à Sepang en 2013 était un avertissement. Il avait sagement suivi l’autre Flèche d’Argent sans l’attaquer, tout en prévenant à la radio : “Souvenez-vous de cela”. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Nico a depuis pris une certaine autorité. Tout d’abord, une autorité dans l’exercice de la qualification. Certes, il a su profiter des avaries mécaniques de l’autre côté du garage, mais ses poles du Brésil et d’Abu Dhabi démontrent son avantage en terme de vélocité (11 poles contre 7). Pourtant, nous nous attendions à le voir sous le joug de la vitesse naturelle du n°44, mais le n°6 (même chiffre que son père Keke lors de son sacre en 1982) a tordu le coup à ce jugement d’avant-saison.
Ensuite, un autre domaine devenu propriété de Nico s’est avéré être celui de la bataille psychologique. Sous les projecteurs de Bahreïn, Nico a délibérément utilisé un mode de cartographie interdit par son équipe. Colère de son camarade qui décidait de lui rendre la monnaie de sa pièce en faisant usage lui aussi d’un réglage non-autorisé à Barcelone, et ce à de multiples reprises. A Monaco, la Mercedes sortait de la piste lors des dernières minutes des essais, entraînant indirectement l’annulation du chrono de l’Anglais. Véritable erreur de pilotage ou tentative d’entraver la marche de son collègue ? Lewis, déstabilisé par le doute, essaya tant bien que mal de répondre au Canada. Nico, ne fit rien pour dissiper le soupçon en court-circuitant une chicane sans vraiment ralentir, alors qu’il se battait avec Lewis. A l’entame de la tournée estivale, Rosberg menait clairement le championnat, que ce soit comptablement ou mentalement.
Toutefois, son abandon de Silverstone, puis la défense virile mais correcte d’Hamilton à Budapest étaient des événements annonciateurs de sa terrible erreur de jugement à Spa, où dès le second tour il s’accrocha avec la voiture-soeur et ruina sa course. En interne, Nico fut réprimandé, et il semblerait qu’il perdit cette part de confiance en lui qui le rendait sinon autoritaire, du moins imposant. Ses erreurs de conduite à Monza et Sochi montrèrent sa vulnérabilité et son empressement pour rétablir une situation qui lui glissait lentement entre ses mains depuis son second zéro pointé à Singapour. Il n’était plus aussi incisif qu’au printemps, en attestent ses duels perdus à Suzuka et à Austin. A deux épreuves de la fin, il semblait compliqué de renverser la vapeur…
Et pourtant, à Interlagos, Rosberg redonna espoirs à ses fans en dominant outrageusement toutes les séances du week-end ! Il ne mène pas la danse, mais en partant depuis la pole à Abu Dhabi, il prouve qu’il est entièrement apte à livrer bataille, au moment le plus crucial de sa carrière. Il se trouve pour la première fois de sa carrière face au Graal des sports mécaniques ; faisons-lui confiance pour exprimer la pleine capacité de son talent dès l’extinction des feux.

Rosberg est ainsi replacé dans une attitude guerrière qui, même si elle peut provoquer des manœuvres à la limite de l’acceptable, ont rendu le combat qu’il mène face à Hamilton plus équilibré et passionnant. Tout deux ont perfectionné leur tactique ainsi que leur pilotage pour le plus grand bonheur des spectateurs. Certes, nous avons vu quelques actes regrettables, mais c’est inévitable à un tel niveau d’intensité. Souvenons-nous plutôt du duel époustouflant de Bahreïn que se sont livrés les deux hommes : peu importe l’identité du futur champion du monde, pourvu que le spectacle soit à la hauteur de cette saison !
Medhi Casaurang. Crédits photos : Mercedes-AMG Petronas
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