Pour sa première saison dans le peloton professionnel au sein de la formation Europcar, Julien Morice a déjà fait parler de lui… sur la piste. A l’occasion des mondiaux à Saint-Quentin-en-Yvelines en février dernier, le Breton (23 ans) faisait parti de la poursuite par équipe française qui a battu par trois fois le record de France (3′58″616). Surtout, il est allé chercher une médaille de bronze dans l’individuelle en battant le russe Serov de trois dixièmes (4′21″419), le tout après avoir écarté le champion du monde en titre australien Edmonson et réalisé le quatrième temps des qualifications (4′19″684). Il fallait remonter à 1998 pour retrouver un français médaillé dans cette discipline (doublé Ermenault-Moreau à Bordeaux). Depuis, l’ancien coureur de Vendée U s’adapte à la route et aux exigences du World Tour. Le Tour de Catalogne passé, c’est maintenant Paris-Roubaix qui se présente. Pour Culture Sport, il a accepté de revenir sur ce début d’année animé.
Culture Sport : On doit te confier une chose : tu nous as fait peur face au Russe. Il revenait quand même fort…
Julien Morice : Ouais, ce n’était franchement pas de la rigolade. Son retour ne m’a pas surpris. J’avais vu en qualification qu’il faisait des temps semblables aux miens mais qu’il finissait beaucoup plus fort. Dans tous les cas, je savais qu’il reviendrait sur moi en fin de course et que cela ne se jouerait pas à grand chose. Je suis parti un poil plus vite qu’en qualification et je pense que c’est ce qui m’a permis de conserver ces trois petits dixièmes d’avance à l’arrivée. Et puis avec le soutien du public en France, c’était énorme. Je m’en suis davantage rendu compte en poursuite individuelle où tu es un peu moins concentré qu’en équipe où tu as un rôle bien particulier. En individuelle, même dans l’effort, tu arrives à sentir cette ambiance de fou.

Culture Sport : Entre la poursuite par équipe et celle individuelle, ce fut une belle semaine non ?
Julien Morice : La poursuite individuelle est arrivée comme un bonus. Mon entraîneur et moi ne pensions pas qu’il pouvait y avoir une médaille au bout. Une place de cinq ou six oui, mais au dessus, cela semblait compliqué. Je n’avais pas trop de repères. La poursuite par équipe était l’objectif premier, vu que la poursuite individuelle n’est plus aux Jeux Olympiques depuis 2008. On a réussi à reformer un groupe avec Damien Gaudin (AG2R), Bryan Coquard (Europcar) et Julien Duval (Armée de Terre). On bat le record national à trois reprises durant les championnats du monde. On espérait passer en dessous des 4 minutes mais en poursuite par équipe, c’est jamais simple. Il faut que les quatre soient là le jour J. Le 3’58” avec la préparation qu’on a eu, c’est vraiment bien. Après, on se classe septième, on se rapproche de la tête.
« La piste peut être compatible avec la route »
Culture Sport : Justement, une qualification pour les Jeux Olympiques de 2016 est toujours d’actualité ?
Julien Morice : Oui, ce résultat nous a relancés pour Rio. Les qualifications ont commencé au mois d’octobre 2014 avec les championnats d’Europe en Guadeloupe. On y avait fait quatrième. Ensuite, ce fut un peu plus compliqué. Il n’y a pas eu d’équipe envoyée au Mexique. Après, ceux qui sont allés à Londres sortaient de coupure et font seizième je crois… A Cali, on fait douze mais c’était le même schéma. On n’était pas forcément hyper compétitifs. En février, les moyens mis en œuvre ont été un peu plus conséquents et la forme était aussi là. On est encore dans la course mais il ne va pas falloir se rater. Il nous reste toute la saison prochaine sur piste (championnat d’Europe, les quatre coupes du monde et les championnats du monde).
Culture Sport : On sait la difficulté de conserver un groupe homogène en piste. Les quatre poursuiteurs des mondiaux sont aussi professionnels sur la route…
Julien Morice : On va essayer de continuer mais on sera obligé de trouver d’autres coéquipiers parce qu’on ne peut pas enchaîner physiquement et la saison route et la saison piste. Il nous faudrait au moins deux autres coureurs d’expérience. Je pense à Ermenault qui était déçu de ne pas avoir été sélectionné ou Fournier qui marche également bien. Boudat aussi. Il y a des jeunes qui arrivent mais c’est un peu tard pour Rio. Pour 2020, il y a beaucoup de potentiel mais là, on est un peu court.
Culture Sport : BeIN Sports, l’Equipe… Ta médaille de bronze un peu inattendue t’a mis sous le feu des projecteurs. Juste après ta performance, tu n’étais pas trop perdu ?
Julien Morice : C’est la première fois que j’avais autant de médias autour de moi. Tu deviens le centre du centre du vélodrome. Quand tu sors tout juste de l’effort, tu ne te rends pas trop compte. Tu as des gens qui arrivent de partout. J’avais déjà du mal à réaliser ce que je venais de réaliser. Je ne me souviens plus de tout ce que j’ai pu raconter. Tu es un peu le centre du monde… pendant une demi-heure (Rires). Après, cela s’arrête !
Culture Sport : Net ?
Julien Morice : Non, je rigole. Les sollicitations ne s’arrêtent pas complètement. Mais le moment juste en descendant de la piste, je n’avais jamais connu cela. D’un point de vue plus général, au niveau médiatique, le fait que les mondiaux se soient passés en France a eu un impact plus important que si cela s’était passé au fin fond de la Russie, c’est sûr. La piste et les pistards français ont été mis en avant. Les résultats de l’équipe d’endurance ont redoré un peu l’image de la discipline. Pour les groupes sportifs professionnels, cela montre aussi qu’il y a un véritable travail de fait. Quand ils lâchent des coureurs pour aller sur la piste, ce n’est pas pour rien. On les voit aussi. La piste peut être compatible avec la route.
Le World Tour ? « C’est un peu de la moto GP » !
Culture Sport : A force de parler des mondiaux, on oublierait presque que 2015 est aussi ta première année dans le peloton professionnel. On trouve facilement sa place dans ce peloton ?
Julien Morice : Je ne sais pas si c’est à cause de mon physique plutôt imposant pour un cycliste (sourires, le Breton toise le mètre quatre-vingt-dix) mais j’arrive assez facilement à trouver mes marques. Après, j’effectue un peu un travail de l’ombre pour mes leaders. J’étais sur le Tour de Catalogne il y a deux semaines. J’ai roulé en début de semaine pour Rolland quand il avait pris le maillot. Ensuite, j’ai travaillé pour Coquard sur des étapes où on pouvait penser que cela arriverait au sprint. Du coup, j’ai déjà effectué pas mal de kilomètres en tête de paquet au final… Bon, c’est souvent avant que la télévision arrive ! Mais le principal est que l’équipe soit contente du travail que j’abats. Les leaders savent aussi remercier les efforts effectués. Il y a un juste retour des choses. De toute façon, en étant néo-professionnel, il faut passer par là avant de se faire une place et d’avoir des résultats.
Culture Sport : La Belgique a quand même pu entrapercevoir tes qualités de rouleur.
Julien Morice : Oui, aux Trois jours des Flandres, je fais une 25ème place au prologue. A vrai dire, je pensais faire un peu mieux mais j’avais couru le grand prix de Samyn le mercredi et je sortais tout juste de la piste. Au Samyn, il y avait 200 bornes et j’ai fini la course complètement râpé. La récupération n’a pas été optimale pour le prologue le vendredi. La transition entre la piste et la route a été compliquée. Je faisais 150 bornes, puis tout me lâchait d’un coup. Je finissais comme je pouvais. Et quand tu as 50 bornes à faire comme tu peux, des fois, c’est long ! (Rires) Mais les jambes reviennent bien. Et puis la piste m’a apporté beaucoup au niveau de l’intensité. Quand ça roule vite, il n’y a pas de problème.

Culture Sport : Justement, le World Tour, ça va vite ?
Julien Morice : C’est un peu de la moto GP, ouais ! Quand les grandes équipes mettent en route, il n’y a pas photo. Surtout pour nous qui travaillons avant… Déjà que je m’entamais la pâte en étant en tête du peloton, quand la vraie course commençait et que les cols arrivaient… Le contact était assez difficile à maintenir ! Mais cela permet de s’aguerrir. Au fil des mois et des années, cela ira mieux. De toute façon, il faut passer par là ! Le Tour de Catalogne, son plateau, son dénivelé… Avant de commencer, tu sais que tu vas recevoir.
Culture Sport : En dehors de cette escapade catalane, on t’a pas mal vu plus au nord ?
Julien Morice : Et j’y suis encore. La Catalogne était justement prévue pour me faire prendre de la caisse et me donner un petit coup d’accélérateur. Mercredi, je courais le Grand Prix de l’Escaut…
Culture Sport : Et Paris-Roubaix dimanche !
Julien Morice : Oui, c’est une course qui fait rêver. C’est une des plus belles classiques de la saison mais aussi une des plus aléatoires. Je l’ai déjà faite trois fois en espoir. Trois fois j’ai goûté au bitume pour mon baptême ! L’année d’après, je suis arrivé pour la 12ème place. Et pour la dernière, j’ai dû arrêter à cause d’une blessure à la main. Tu as souvent le droit à ta petite chute journalière si tu n’es pas bien placé dans les premiers secteurs. Et encore, je n’ai jamais roulé sur des pavés mouillés… En World Tour, on va voir ce que cela donne. Dans les années à venir, j’espère pouvoir bien figurer dans ces courses-là. Aujourd’hui, les 260 km, je ne les ai pas encore totalement assimilés ! Donc, cela risque d’être difficile pour moi à un moment donné ou à un autre. Mais tout le monde n’a pas la chance de faire la dernière course de Sir Bradley Wiggins !
Après Paris-Roubaix, Julien Morice sera au GP de Denain (16 avril) avant de retrouver Saint-Quentin-en-Yvelines pour le stage de l’équipe de France sur piste. Il enchaînera ensuite avec le Grand prix de la Somme (3 mai) et les 4 jours de Dunkerque (6 au 10 mai).
Propos recueillis par Thibault Burban
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