Cyclisme Interviews L'oeil de Francis Lafargue

“Alejandro Valverde restera parmi les meilleurs coureurs Espagnols de tous les temps”

NUMERO UNO. En 2015, il continue de rayonner sur les classiques les plus prisées du calendrier. En s’imposant une nouvelle fois sur la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège, Alejandro Valverde poursuit son activité parallèle qui est de rédiger quelques-unes des plus belles pages de l’Histoire cycliste. Avec une troisième Flèche en poche, l’Espagnol a ainsi rejoint de grands noms au panthéon comme Eddy Merckx ou Moreno Argentin, en qualité de co-recordman au nombre de victoires. Ancien proche du coureur à la Caisse d’Epargne, nous avons posé quelques questions à propos de l’actuel numéro un mondial à notre consultant Francis Lafargue.

Culture Sport Alejandro Valverde

La place de numéro un mondial

En fin de saison l’an passé, Alejandro Valverde bouclait son troisième exercice en tant que numéro un mondial après ses sacres de 2006 et 2008 (l’UCI Pro Tour à l’époque). En douze années professionnelles (entrecoupées par deux ans de suspension entre 2010 et 2011), le coureur du Team Movistar ne sera sorti du top 7 qu’à une seule reprise. C’était en 2005 (22e) [voir graphique ci-dessous]. « L’an dernier, il a été le plus régulier sur l’intégralité de la saison. C’est quand même une grosse performance compte tenu qu’il y avait beaucoup de monde qui lui tournait autour. » Cette année encore, l’Espagnol est bien parti pour figurer sur le podium de l’UCI World Tour. Il vient d’éjecter Richie Porte de son trône. L’Australien était assis dessus depuis sa victoire à Paris-Nice, consolidant même sa position suite à son succès au Tour de Catalogne. Une épreuve où Valverde avait terminé… à la deuxième place et remporté trois étapes.

Les Mondiaux se refusent à lui

Alejandro semble souffrir d’un syndrome bien connu des férus de la petite Reine, le syndrome Poulidor. Il chasse le maillot irisé depuis 2003. En onze ans, l’Espagnol est monté à six reprises sur le podium, mais jamais sur la plus haute marche. « Alejandro est passé si près tellement de fois que j’aurais aimé qu’il devienne champion du monde à Ponferrada… Aux Mondiaux, ce sont toujours les meilleurs qui sont présents, ce n’est jamais le fruit du hasard. Lorsque l’on regarde le palmarès, on peut s’apercevoir que ce sont les cadors qui y figurent. » Juste après, Francis Lafargue est revenu sur les différents scénarios malheureux que Valverde a vécu lors de ses Mondiaux. « En 2006, il est arrivé au sprint avec Paolo Bettini et Erik Zabel. Un an plus tôt, à Madrid, il se faisait déjà battre dans une arrivée massive par Tom Boonen. En 2013, il était avec Rui Costa (son équipier chez Movistar, ndlr) et Joaquim Rodriguez (le co-leader de l’équipe d’Espagne, ndlr)... » Les deux hommes se sont finalement disputé le titre entre eux, Valverde arrivant quinze secondes plus tard. « Ce sont des erreurs qui se comptent en fractions de secondes. Ce fut notamment le cas en 2012, à Valkenburg, où Philippe Gilbert lui avait pris quelques dizaines de mètres dans le Cauberg. C’en était terminé pour lui. »

Culture Sport Miguel Indurain Alejandro Valverde
“Valverde a remporté hier sa 70e victoire avec l’équipe. Un seul coureur a plus de victoires dans les équipes d’Unzué : Indurain.” (posté le 23 avril sur la page Facebook de la Movistar)

Où se situe-t-il ?

S’il fallait établir un classement des meilleurs coureurs Espagnols de l’Histoire, à quel rang se trouverait le vainqueur de la Vuelta 2009 dans la hiérarchie du cyclisme Hispanique ? « Il ne faut pas oublier que d’autres coureurs ont réalisé de très belles performances comme Oscar Freire (champion du monde à trois reprises) et Miguel Poblet qui ont gagné Milan-San Remo. C’est une course qui est difficile à gagner car c’est une loterie : c’est le début de saison, le parcours n’est pas très difficile, il y a des risques de chutes en voulant se placer correctement en vue du sprint final… Valverde n’est jamais parvenu à s’imposer là-bas. Mais c’est un des rares à avoir gagné à la fois la Flèche Wallonne puis Liège-Bastogne-Liège, en réalisant ce doublé, ça situe quand même le champion qu’il est. Il est entré dans le gotha non seulement Espagnol mais aussi international. C’est un coureur très complet qui a beaucoup de talent, tout simplement. Alejandro a porté le Maillot Jaune, gagné la Vuelta… Même s’il est bon dans les Grands Tours, il restera, pour moi, un coureur de classiques et de courses d’une semaine. »

Alors, faut-il le placer juste en dessous des légendes que sont Miguel Indurain et Federico Bahamontes ? « On ne peut pas comparer parce que ce n’est pas du tout le même style de coureur. Ce sont trois styles différents à vrai dire. Miguel était un spécialiste du contre-la-montre, qui a gagné tout ce que l’on sait, et Bahamontes grimpait les cols comme jamais personne ne l’a fait et qui plus est à une époque différente. Cependant, Valverde a su démontrer toute sa valeur et restera parmi les meilleurs coureurs Espagnols de tous les temps. C’est certain. »

Valverde, l’espoir

Francis Lafargue : « Je le connais de longue date puisqu’il courrait au sein de notre équipe amateur. À l’époque, nous avions une politique qui était très bonne avec un groupe professionnel et un groupe amateur. L’UCI souhaite d’ailleurs y revenir pour 2017. En Espagne, nous avons eu la chance d’avoir une formation Banesto amateur où quelques-uns des meilleurs coureurs sont passés comme Miguel Indurain, Pedro Delgado mais aussi Valverde. Ils arrivaient tous de Murcie, de Segovie ou de Pampelune. Ils sont venus chez nous car ils avaient une structure qui les accueillait et qui leur donnait la possibilité de courir sur les belles courses du calendrier Ibérique. Ça leur permettait également de passer professionnel chez nous quelques mois plus tard.

Valverde est arrivé naturellement à s’imposer parmi les meilleurs en remportant de nombreuses courses. Il a gagné sa place dans le contexte de l’équipe y compris dans le contexte national. Il a toujours eu une ligne de progression formidable. Régulier chez les cadets et en juniors, il a toujours été parmi les meilleurs. Ça n’a pas été un type qui était bon mais qui ne gagnait jamais et qui d’une année à l’autre explosait… »

La période Kelme

Mais pourquoi a-t-il rejoint la Kelme ? « A un moment, nous avions trop de monde pour passer professionnel. Nous pensions de surcroît qu’il était trop jeune. Mais une fois qu’il a eu une proposition de la Kelme, il a sauté sur l’occasion. Le rêve, l’aspiration de tous les jeunes est de passer pro donc quand on lui a mis un contrat sur la table, il a immédiatement signé (à 21 ans). Lorsqu’il a eu l’opportunité de revenir, il est revenu chez nous. »

Le retour au bercail

“Balaverde” signe donc son grand retour au sein de la formation Banesto en 2005, devenue entre-temps Iles Baléares-Caisse d’Espagne. Pour sa première saison au sein d’une équipe Pro Tour, Valverde découvre le Tour de France et décroche après seulement dix étapes son premier bouquet dans la Grande Boucle, à Courchevel. « L’époque était un petit peu spéciale, c’était l’époque Armstrong (l’Américain avait par ailleurs terminé deuxième derrière l’Espagnol au sommet, ndlr). Tout était plus ou moins faussé. Mais ça n’a pas empêché Alejandro de faire un coup sur une étape. » Le champion Espagnol a malheureusement abandonné trois jours après, le maillot blanc sur les épaules, à cause d’un problème au genou.

Un an plus tard, au départ du Tour jugé depuis Strasbourg, les principales têtes d’affiches ont été exclues à cause de l’affaire Puerto. Favori après le départ d’Ivan Basso, Jan Ullrich et Alexandre Vinokourov, le porteur de la tunique de leader de l’UCI Pro Tour se brise la clavicule lors de la troisième étape, en Hollande. Mais ce qu’on ne savait pas encore, c’est que Valverde faisait lui aussi parti de cette affaire de dopage. En 2009, le CONI (Comité National Olympique Italien) l’a suspendu de toutes les compétitions transalpines pendant deux ans, affirmant qu’ils détenaient la preuve de sa culpabilité. En mai 2010, le TAS (Tribunal Arbitral du Sport) le suspendait à son tour, pour la même durée. « Il a été embêté plus qu’il ne fallait avec les Italiens. Politiquement, ce n’était pas très correct. Il a beaucoup souffert de cette situation, au même titre que son entourage. Cela a été difficile à vivre pour tout le monde. Mais il a payé, il est revenu et il a démontré ce qu’il savait faire à tous ceux qui en doutaient encore. Désormais, je crois qu’il n’y a plus d’équivoque. Les gens ont compris que c’était un champion parmi les champions. »

Culture Sport Alejandro Valverde Huy
Vainqueur mercredi pour la troisième fois au sommet du Mur de Huy, Valverde remettra-t-il ça le 6 juillet prochain lors de la… troisième étape du Tour ?

Quelques victoires d’étapes sur le Tour ?

Après son triplé en Catalogne et son doublé dans les Ardennaises, nous pensons que Valverde, qui ne va probablement pas viser le général laissant son équipier Nairo Quintana s’en charger, a largement les moyens de signer un nouveau triplé dans la prochaine édition de la Grande Boucle. Les arrivées à Huy (3e étape), Mûr-de-Bretagne (8e) et Mende (14e) sont presque taillées pour lui, excellent puncheur-grimpeur. Il a déjà dû cocher ces étapes non ? « Le connaissant, il est évident, il le sait, qu’il peut être le vainqueur de ces étapes et notamment à Huy parce qu’il y a déjà triomphé à trois reprises. Attendons tout de même de voir s’il sera vraiment au départ du Tour. Une fois qu’il y sera, il faudra qu’il coure intelligemment. Quand tu as deux leaders dans une équipe, ça reste quand même un avantage. »

Quels objectifs dans le futur ?

El Imbatido a encore de belles années devant lui pour aller chercher un Mondial, un Tour de Lombardie ou un Amstel Gold Race. Il est encore passé tout près de la gagne dimanche dernier (sixième top 6 depuis 2007). « Il a des capacités qui peuvent lui permettre de faire des exploits dans les classiques. Le connaissant bien, je peux vous dire qu’il est très professionnel et très concentré. A mon avis, il sera toujours avec les meilleurs durant les deux voire trois prochaines saisons. Malheureusement pour le cyclisme Espagnol, derrière, la relève n’est pas encore assurée. »

“Un garçon très simple”

Francis Lafargue : « Je suis très fier d’avoir travaillé aux côtés d’un garçon très simple et qui a su remonter de ce creux de la vague dont tout le monde pensait qu’il allait se noyer. Nous l’avons tous aidé à notre façon et il est re(de)venu vainqueur. Je suis heureux de pouvoir le compter parmi les coureurs que j’ai côtoyé. J’ai connu de grands champions, mais celui qui avait le plus de talent c’est Valverde. C’est indéniable. »

***

Alejandro Valverde en stats

Ses podiums dans les classiques et aux Mondiaux

5 à la Vuelta (1 victoire)
3 à l’Amstel Gold Race (0 victoire)
4 à la Flèche Wallonne (3 victoires)
7 à Liège-Bastogne-Liège (3 victoires)
4 à la Clasica San Sebastian (2 victoires)
2 au Tour de Lombardie (0 victoire)
6 aux championnats du monde en ligne (0 victoire)

Son palmarès depuis son passage chez les pros, en 2003

Numéro un mondial 2006, 2008 et 2014
Tour d’Espagne 2009 (classement du combiné 2003, 2009 et 2012 ; classement par points 2012 et 2013)
4 étapes du Tour de France
8 étapes du Tour d’Espagne
Champion d’Espagne sur route 2008
Champion d’Espagne contre-la-montre 2014
Critérium du Dauphiné Libéré 2008 et 2009
Tour de Catalogne 2009
Liège-Bastogne-Liège 2006, 2008 et 2015
Flèche Wallonne 2006, 2014 et 2015
Classica San Sebastian 2008 et 2014

Ses 7 participations au Tour de France

2014 : 4e
2007 : 6e
2008 : 8e, vainqueur de deux étapes (la 1ère et 6e), Maillot Jaune pendant 2 jours
2013 : 8e
2012 : 20e, vainqueur d’une étape (la 17e)
2005 : abandon, vainqueur de la 10e étape
2006 : abandon

Ses 9 participations au Tour d’Espagne

2009 : 1er, vainqueur du classement du combiné, Maillot de Oro pendant 13 jours
2012 : 2e, vainqueur des classements par points et combiné, vainqueur de trois étapes (la 1ère – chrono par équipes – la 3e et la 8e), Maillot Rouge pendant 1 jour
2006 : 2e, vainqueur d’une étape (la 7e), Maillot de Oro pendant 8 jours
2003 : 3e, vainqueur du classement du combiné et de deux étapes (la 9e et la 15e)
2014 : 3e, vainqueur de deux étapes (la 1ère – chrono par équipes – la et 6e), Maillot Rouge pendant 4 jours
2013 : 3e, vainqueur du classement par points
2004 : 4e, vainqueur d’une étape (la 3e)
2008 : 5e, vainqueur d’une étape (la 1ère), Maillot de Oro pendant 1 jour
2002 : abandon

Les classements mondiaux (Uci Pro Tour, Uci World Tour)

Culture Sport Alejandro Valverde classements mondiauxDepuis lundi, Valverde est pour le moment en tête du classement World Tour et ce pour la première fois de la saison.

Propos recueillis par Nicolas Gréno (en décembre 2014). Crédits photos : page Facebook de la Movistar.

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