Rashidi Yekini s’en est allé vendredi 5 mai 2012 des suites d’une maladie d’ordre neurologique qui le poursuivait depuis bien longtemps. Dans le Nord du pays, à Iraa, région du globe extrêmement sensible, une légende du football africain s’est éteinte. Mais si sa mort est intervenue dans ce Nord incertain, c’est à Ibadan, ville universitaire à proximité de Lagos, que la déchéance du meilleur buteur de l’histoire des Super Eagles (37 buts en 58 sélections) se développait. Yekini y vivait depuis la fin de sa carrière dans le plus extrême dénuement. L’homme y souffrait d’un stress mental omniprésent. Gravement malade, il refusait toute aide, qu’elle vienne de sa famille, qu’il avait délaissé à la fin de sa carrière mais qui tentait de le sortir de cette situation, ou de ses anciens coéquipiers, Amokachi et Oliseh en tête, qui se déplaçaient jusqu’à ce 4 pièces d’Ibadan qui servait de toit à leur ex coéquipier. Volets fermés, porte close. La messe était dite. Tout comme en 2010 lorsque, pour la Coupe du Monde de football en Afrique du Sud, Chris Green, président de la Fédération Nigériane de Football (énième tentative pour le rapprocher du milieu footballistique), décide de confier le poste d’ambassadeur à Rashidi. Refus catégorique. Yekini ne voulait plus voir personne. Certaines descriptions le peignaient en clochard. Mais de quand date cette descente aux enfers ? De sa retraite sportive qui pose problème à tous les athlètes ? De sa tentative de reconversion dans le monde des affaires qui a pris une tournure désastreuse (son compère d’affaires, un dénommé Ibrahim, se fit descendre avec tout l’argent de Yekini sur lui à quelques minutes d’une transaction onéreuse) ? Ou sa dépression avait-elle débuté dès sa carrière sportive, comme l’attesteraient ses nombreux transferts de fin de carrière (Olympiakos, Sporting de Gijon, retour au Vitoria Setubal, FC Zurich, Club Athlétique Bizertin en Tunisie, Al-Shabab Riyad en Arabie Saoudite, l’African Sports, puis come-back au pays, au Gateway FC) ?
Car Yekini avait un rêve. Celui de devenir le meilleur buteur de l’histoire de la Coupe d’Afrique des Nations. Ce rêve n’avait rien d’irréel. S’il y a bien une certitude, c’est que Yekini était un joueur à part…
Il marqua la décennie 1990-2000 de son empreinte. En Afrique, en Europe, et à l’échelle mondiale. Ce colosse d’1m90 usa les défenses de tous bords. Jusqu’à ce qu’elles cèdent. Après avoir écumé les divisions nationales, puis un passage remarqué (et remarquable !) à l’Africa Sports d’Abidjan, c’est au Vitoria Setubal, de 1990 à 1994, que Yekini va mettre le feu aux défenses. Et aux chiffres. 34 buts en 32 matchs lors de la saison 1993-1994. Des stats à la Messi et à la Ronaldo. Au total, en 108 matchs avec le Setubal, il scora 90 fois. Côté sélection même refrain. Meilleur buteur des CAN 1992 et 1994, meilleur joueur africain 1993, 37 buts en 58 sélections, il est à ce jour le plus grand finisseur des Super Eagles. Le continent africain vaincu, c’est dans la peau d’outsiders on ne peut plus sérieux que les Nigérians se présentent à la Coupe du Monde 1994 organisée aux Etats-Unis. Pour leur premier match, au Cotton Bowl de Dallas, le Nigéria piétine face à la Bulgarie jusqu’à ce que Yekini ne fasse parler la poudre. La célébration de son but fera le tour du monde. Enlacé dans les filets, priant, c’est en solitaire que le nigérian fête son but. Car son talent et son égoïsme (les deux vont souvent de pair), ont éveillé jalousie et rancœurs au sein du groupe nigérian. Certains de nos joueurs étaient d’une jalousie maladive envers Yekini. C’était notre meilleur joueur. Mais il n’était pas assez intelligent pour calmer les choses», note son ancien partenaire en sélection, Sunday Oliseh. « Certains de nos joueurs étaient d’une jalousie maladive envers Yekini. C’était notre meilleur joueur. Mais il n’était pas assez intelligent pour calmer les choses », note son ancien partenaire en sélection, Sunday Oliseh. « Beaucoup de choses ont été dites à son sujet, mais vous savez, qui d’autre dans l’Histoire du Nigeria envoyait des frappes de 30 mètres ? Si Yekini peut compter ses buts, eh bien, il en a mis plus d’une centaine. » A tel point que certains de ses coéquipiers ne lui feront plus de passes lors des matchs suivant. C’est l’Italie, futur finaliste de l’épreuve, qui mettra fin aux espoirs nigérians dès les huitièmes de finale après une prolongation haletante. Après l’affaire bulgare (victoire 3 à 0 au final), Yekini ne marquera plus sur le sol américain.
Cette même obsessions du but qui le poussait à vouloir plus que tout égaler et dépasser le record du nombre de réalisations en Coupe d’Afrique des Nations détenu par Laurent Pokou hérissé à 14 buts. Un but. C’est ce qui lui a manqué. Car en Afrique tout est politique. Une bévue diplomatique empêche le Nigéria de participer à la Coupe du Monde 1996 en Afrique du Sud (face à l’embargo pétrolier sur le Nigéria par le gouvernement de Mandela, le général Sami Abacha refuse que ses joueurs participent à la CAN). Sanction double. Par ce boycott, le Nigeria est aussi exclu de la CAN 1998 au Burkina Faso. Yekini se fait vieux. En 2000 le Nigeria organise le tournoi avec le Ghana. Mais il est déjà trop tard. Les jambes du surpuissant Yekini ne sont plus les mêmes. Et surtout, le record de Pokou vient d’être dépassé par un joueur camerounais, plus jeune et plus talentueux, Samuel Eto’o (18 réalisations).
Fauché, malade, paranoïaque, c’est dans la pauvreté que Yekini s’en est allé et a laissé le continent africain en deuil. Il avait 48 ans. Mais plus qu’un homme en cages, un homme en proie à ces démons, c’est l’image d’un avant-centre alliant puissance et talent que nous avons voulu garder. Un homme qui savait ce qu’il voulait et qui s’en donnait les moyens. RIP Yekini.
Article réalisé par Thomas Mollanger
Crédit photo : AFP
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